Le premier bac se profilait à l’horizon et, tout au long de l’année, s’échelonnaient deux ou trois examens blancs pour nous mettre, sinon en appétit, du moins en situation.
Beaucoup de mes camarades n’hésitaient pas à « tuster », lors d’interrogations écrites, ou d’examens blancs. Peu s’y risquaient lors d’examens réels car les sanctions étaient alors des plus sévères. Il faut dire qu’un tust était un petit papier sur lequel on avait écrit une règle, un passage d’histoire, une formule chimique, et qu’on dissimulait dans une poche ou une manche pour le ressortir, en catimini, au moment où on en aurait besoin. Je n’avais jamais eu recours à ce genre de stratagème, de tricherie, jusque là.
Etait-ce l’effet d’une perverse émulation ou la crainte d’obtenir dans certaines matières – vous devinez lesquelles – des notes démoralisantes ? Je ne sais. Mais un jour, en vue d’une épreuve d’un examen blanc, je préparais moi aussi quelques tusts que j’enfouis au fond de mes poches.
Les places ayant été distribuées dans l’ordre alphabétique, je me retrouvais plutôt vers le fond de la salle.
Nous commençâmes à travailler avec ardeur puis au bout d’une heure une certaine torpeur sembla s’emparer de la classe. Assis à son bureau, Monsieur A., notre surveillant, moustaches et cheveux frisés à la Brassens dont il avait également l’air un peu bourru, avait déplié un journal et s’absorbait dans sa lecture. Des mouvements furtifs, ça et là, indiquèrent que le moment de sortir ses tusts était arrivé.
Comme mes camarades, je plongeai discrètement une main dans ma poche et sentis sous mes doigts le contact froid du papier. Je restai un moment ainsi, sans bouger, n’osant sortir ces aides que je savais déloyales, n’osant franchir le pas. Un coup d’oeil circulaire m’indiqua que bon nombre de mes camarades ne se posaient pas autant de questions, n’étaient pas confrontés à autant de scrupules. Au fond, n’avais-je pas le droit de me battre avec les mêmes armes qu’eux ?
Lentement je sortis un de mes tusts et, le glissant dans ma copie, j’y jetai un bref regard. Il me sembla que, l’espace d’une seconde, j’avais reçu une décharge électrique et je rabattis la feuille où j’écrivais.
Puis je m’enhardis et commençai à lire les formules que j’avais préparées. Elles ne m’étaient pas d’un grand secours pour résoudre l’exercice sur lequel je butais et je me pris à me dire que je risquais gros pour pas grand chose.
A ce moment, comme sortant d’un état léthargique, Monsieur A. plia brusquement son journal, le leva en s’ébrouant, descendit de son estrade et s’avança dans l’allée qui menait droit à ma place. Je refermai vivement ma copie et y appuyai mon bras dessus comme si le tust avait pu s’envoler tout seul pour aller se balader devant le nez du surveillant. Je fis semblant de m’absorber dans mon problème tandis qu’une sueur glacée dégoulinait entre mes omoplates. Je n’osais lever la tête mais j’entendais autour de moi des bruits et des raclements de gorge qui m’indiquaient clairement l’effarement de tous les élèves qui se trouvaient dans mon cas.
A mon grand soulagement, Monsieur A., après avoir jeté un regard qui me sembla passer bien au-dessus de nos têtes baissées, fit demi-tour et se dirigea vers son bureau. Le soupir collectif fut quasiment palpable. Je récupérai mon tust et le froissai au fond de ma poche d’où il n’aurait jamais dû sortir, où il n’aurait jamais dû se trouver. Je me jurai de ne plus recommencer, de ne plus me trouver dans une telle situation de risque et donc de faiblesse.
En y repensant, bien plus tard, j’acquis la conviction que, malgré ses airs sévères, Monsieur A. n’était pas dupe de nos stratagèmes et que, sauf à s’être trouvé devant un cas trop flagrant, il fermait les yeux sur nos petites manigances et jubilait, de temps en temps, à nous procurer quelques émotions.
Il faut dire que l’année suivante, je l’aurais comme professeur d’anglais et qu’il se révélerait sous un jour complètement différent. Je découvrirais alors un homme très abordable, proche de ses élèves. Avec mon bon copain Robert, originaire de Casablanca et qui nous avait rejoints en seconde, nous étions les meilleurs dans ce cours de langue et Monsieur A. nous lâchait la bride. Nos tables individuelles – nous n’avions plus de bureaux, comme autrefois, conçus pour deux élèves – étaient poussées tout contre l’estrade, complètement séparées du reste de la classe, et nous nous en donnions à coeur joie, bavardant et plaisantant sans cesse, à tel point que, parfois, notre professeur se forçait à prendre un air sévère pour nous demander de nous calmer.
J’ai écrit le texte ci-dessus en 2005 dans un recueil de souvenirs intitulé « Onze ans, trois mois ». Devinez qui est ce fameux Monsieur A. que je mets en scène ?
Emile PENA
Le concours est ouvert…..